Par delà la distance et le temps

Publié le par Spoil

Les traits fermés, la bouche close, le regard fixe. Seul le vent fougueux, qui agitait ses cheveux ébouriffés venait rompre cette immobilité angoissante. Ses yeux à demi-fermés laissaient percevoir une once d'espoir, une bribe de vie. Le brillant et l'intensité de son regard suffisaient à comprendre la détermination de ce valeureux aventurier perdu au milieu de ces flots tumultueux agités par la colère de Borée. Il était debout, fier, inflexible comme fixé à son frêle esquif. L'on aurait dit un second mat affrontant la mer déchaînée.

Le ciel était lourd, épais, les nuages gris et bas, la houle cisaillée par mille lames révélait une douce pâleur qui donnait à la scène une touche surréaliste. Rien dans l'horizon troublé par la tempête n'annonçait une accalmie à ce tableau digne de Géricault.

Les éléments n'étaient pas avec lui mais il savait qu'il lui fallait lutter, encore et toujours comme dans une lutte de chaque instant de laquelle l'on ne peut sortir indemne.

 

 A quelques milles de là, un imposant bâtiment toutes voiles tendues semblait se jouer de la colère de Poséidon. Les hautes vagues qui inondaient le pont de notre jeune artimon se brisaient contre la coque de ce monstre des mers. Ce Bucentaure à la robe noire qui flottait insensible, inspirait mélancolie, douleur, tristesse et crainte. L'étrange atmosphère chargée de torpeur et de puissance maléfique qui se dégageait de cette galère colossale aurait fait fuir des armées entières.

Sur le pont principal, l’on pouvait apercevoir une multitude d‘ombres qui semblaient très affairées. Ce perpétuel fourmillement de dizaines matelots d’un autre monde cachait en son cœur, un trésor. Ces hommes des ténèbres hantaient les lieux par leur présence omniprésente. Malgré la foule, aucun ne prêtaient attention outre mesure à la silhouette immobile postée contre le mat principal de ce funeste navire.

Les mains croisées, serrées contre le bois sec et dru, une corde finement tressée lui liait ses délicats poignets. Les bras encerclant de force l’épaisse tige porteuse, échapper à cette fixation lui était impossible. Cet étirement forcé tirait ses épaules en arrière, sa poitrine gonflée, son visage fier ajoutaient l’impression de résistance et d’impassibilité dont elle faisait preuve. Ses longs cheveux ondulés reposaient sur l’avant de ses épaules et semblaient insensibles à ce vent fou. Les yeux grands ouverts, elle fixait un point de l’horizon comme pour ignorer et oublier sa triste situation. Elle n’était plus couverte que de quelques lambeaux de vêtements qui cachaient avec difficulté les repères de sa féminité. Ses doux cheveux sombres contrastaient de son haillon qui avait gardé sa blancheur immaculée. Elle paraissait forte mais totalement impuissante, ses liens solides, cette masse de brutes et cette étrange créature montée sur la vigie réduisaient tout espoir de fuite à néant.

Les bras tendus fermement posés sur la rambarde de son perchoir, les épaules en avant irrésistibles à la fougue de la tempête, son immense stature impressionnait par sa puissance. La peau noire que laissait transparaître son armure d’argent offrait des muscles gonflés, des veines saillantes. Sa longue épée était rangée dans son fourreau. Il scrutait l’horizon tout en surveillant insidieusement son armée dévouée.

   

« Brille par ton courage, mon doux compagnon. Je sais que tu viendras me délivrer de cette fatalité. Mon cœur connaît la détermination de ton amour, mon âme tremble des épreuves qui se dressent à ton tumultueux périple. Garde foi en ta destinée, car tu viendras… Au fond de moi, ton esprit reste gravé. La peur ne peut troubler cet espoir infini que je porte en ta délivrance. Cette armée de fatalités ne peut tuer le feu vivant qui brûle, ma passion ardente repousse les limites du possible. Le démon qui m’a pris ne peut m’arracher à toi et qu’au-delà la distance et le temps je ne puis effacer la puissance de notre amour. »

 

La lune, perdue à travers ces nuages ténébreux, réussit un court instant à percer cet horizon obscur. Il leva la tête et distingua dans les traits de la lune l’esquisse de sa belle. Que de beauté réunit quand le scintillement de cet astre s’ajoutait à l’éclat de sa douce naïade !

Avait-il ressenti cette délicate exhorte ? Percevait-il l’intense vert azuré que recelait le regard de sa prisonnière tel un trésor blotti entre ses paupières?

 

A quelques distances derrière le frêle esquif, invisibles à l’œil humain, des sirènes venues du fond des mers retenaient une bête sanguinaire qui semblait fondre sur notre héros. A grandes peines, les filles de Triton résistaient à la violence du Doute qui écumait sa rage de ne pouvoir anéantir la courageuse destinée que le jeune homme avait empruntée.

 

« Oh ma tendre, je me dois de lutter contre ces éléments déchaînés, je dois parvenir jusqu’à toi. Je ne peux abandonner au péril de ma vie. J’en appelle à vous, seigneur du ciel et des mers, encouragez mon élan et entretenez l’espoir de faire briller mon hymen. J’en appelle à toi Junon, déesse pure, toi qui connais la force de l’amour et la justice de ma quête. Aide-moi à triompher de ces épreuves et à retrouver l’objet sacré de mes désirs. Oh ma belle, j’accourre vers toi le cœur rempli de trésor, accueille-moi et offre-moi le repos à mon âme chavirée. »

Publié dans Pastiches

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L
doux mélange succulent dont l'envie me prend de croquer...
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L
merci
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S
De la mythologie pathétique pour ma belle.
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